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| Sujet: Libération - Joe Dalton - Lucky Luke Lun 30 Juil - 17:59 | |
| Hello, Un article sympa sur Joe Dalton dans le cahier d'été de libération du samedi 28 juillet JOE DALTON, LE FRÈRE MAL-AÎNÉPar Mathieu Lindon - — 27 juillet 2018 à 17:06 © Libération Tous les samedis, «Libération» part à la rencontre de grands tordus de la littérature.Cette semaine, exploration de la personnalité du plus petit des frères bagnards créés par Morris et Goscinny, dont l’obsession et la haine pour Lucky Luke n’ont pas de limite. Si la taille des quatre frères est échelonnée, Joe n’a pu que souffrir d’être celui qui doit garder la tête sous l’eau parce qu’il n’a pas pied quand tous sont forcés de se cacher dans une rivière en pleine évasion. Photo Prod DB © Dargaud / DR Joe Dassin chantait que les Dalton «se livrèrent eux-mêmes pour toucher la prime car ils étaient encore plus bêtes que méchants». Au début de leurs aventures, ils n’auraient pas fait fortune avec le capital que leur aurait valu leur stupidité. Dans les Cousins Dalton, le premier Lucky Luke de Morris et Goscinny où ils apparaissent, ils ne sont en effet que les cousins des immondes Bob, Grat, Bill et Emmet disparus, déjà à cause de cet «infâme» héros qu’est Lucky Luke : Joe est bien recherché, mais la récompense n’est que de 5 dollars, le double de ce que vaut son frère William, «un objet d’art plâtre véritable» reviendra à qui capturera Jack, et Averell est «not wanted». Les prix vont vite grimper, mais cette inflation a un coût psychologique. Il serait trop facile de condamner Joe sans rappeler d’où il vient. Quand il était petit, sa maman lui préférait Averell, «le chouchou», comme savent tous les lecteurs de Ma Dalton. Et, petit, Joe l’est resté. Si la taille des quatre frères est échelonnée de sorte que seul Averell a à peu près celle de Lucky Luke, Joe n’a pu que souffrir d’être celui qui doit garder la tête sous l’eau parce qu’il n’a pas pied quand tous sont forcés de se cacher dans une rivière en pleine évasion. En outre, il a en cette circonstance un boulet à porter aux sens propre et figuré, puisque ce crétin d’Averell s’est fait voler à la prison la lime qui aurait pu l’en délivrer, de sorte que son exaspération lui fait toucher le fond également aux sens propre et figuré. Montagne de ridiculeLa haine, celle de Lucky Luke, est ce qui guide Joe Dalton, et on sait d’une part comme ce sentiment est mauvais conseiller et, d’autre part, comme il favorise peu l’éclosion de la personnalité. Mais peut-on reprocher à une famille d’être unie et à un cousin de vouloir venger ses cousins ? Ajoutons que quand tout peut basculer, quand Joe rencontre l’amour, dans Dalton City, cela l’éveille à la pureté et fait naître en lui comme chez tout un chacun des sensations quasi neuves : «Je suis ému comme le jour où j’ai volé ma première vache…» Lucky Luke s’ingénie pourtant, avec autant de sournoiserie que de succès, à faire de cet épisode un misérable fiasco qui ne peut qu’accroître les complexes, la rancœur et la méchanceté de l’amoureux transi. C’était déjà comme ça chez les prestigieux cousins des quatre imbéciles : dans la famille Dalton, plus on est petit et plus on est mauvais. La haine est plus dense quand elle est concentrée. Surtout, puisqu’expliquer n’est pas forcément excuser, il faut pointer la responsabilité de Morris et Goscinny dans la psychologie détraquée du petit Joe. Pas seulement en tant que créateurs, la censure aurait certes trop de grain à moudre si les auteurs étaient comptables de la moindre action de leurs personnages. Mais sur le principe même de cette création particulière. On connaît des gens qui sont méchants pour rire. Joe Dalton, lui, est méchant pour faire rire : c’est un tout autre degré de cruauté, et c’est lui qui en est la victime, à l’instar de l’ignoble grand vizir Iznogoud (dans l’existence duquel la responsabilité de René Goscinny est également engagée) qui voudrait devenir calife à la place du calife mais n’obtient le rôle principal qu’en tant que personnage comique et moqué. Joe Dalton veut tuer tout le monde. Au début, seulement Lucky Luke, mais, quand il est franchement agacé, il peut tirer sur tout ce qui se présente, au risque de distendre dangereusement les liens familiaux lorsque ses frères ne doivent qu’à son incompétence d’échapper à la mort. Et, à la fin, immanquablement, si lui-même reste vivant, c’est en vertu du contestable adage prétendant que le ridicule est un piètre assassin. Tel est le supplice que lui ont préparé ses créateurs : il peut être enfoui sous une montagne de ridicule, il n’étouffera quand même pas. Il y aura toujours la place pour une petite pelletée supplémentaire. On prend Joe pour un tortionnaire alors qu’il est le torturé. La preuve à chaque fois qu’il capture Lucky Luke : il veut l’humilier en en faisant sa boniche ou on ne sait quoi, le résultat est que le prisonnier se retrouve avec une meilleure vie que ses gardiens (cette constatation est à même de heurter la morale des plus fragiles : peut-être faut-il un minimum d’intelligence pour faire un bon bourreau). «Ne cherchons pas à comprendre… J’ai l’impression d’avoir perdu le fil de ce récit à un moment donné…» dit Jolly Jumper, qui a la tête sur l’encolure, quand le cheval en captivité se retrouve traité comme le client d’un palace. Idée fixeDans sa famille, on fait crédit à Joe d’être «le pire de tous», le plus mauvais d’entre nous, en particulier en raison de son imagination, sa capacité à raisonner ou déraisonner jusqu’à être défini comme «un intellectuel». «Le cerveau de la famille» a pourtant une cervelle toute remplie par une idée aussi inaccessible que fixe : sa haine pour Lucky Luke qui lui fait perdre toute lucidité à chaque fois qu’il serait en position de l’étancher. Il faut dire que l’expérience montre qu’il y a autant d’imbéciles parmi les intellectuels que parmi les manuels, et le malheureux Joe, au comble perpétuel de la rage, se trouve dans la triste situation de cumuler : en plus de ses plans imbéciles, lui qui vise normalement si bien tire n’importe où quand il s’agit d’en finir avec le cow-boy solitaire qu’il voudrait expédier encore beaucoup plus loin de son foyer qu’il n’est déjà. Mais pour éparpiller le chanceux héros façon puzzle et abattoir, même la dynamite ne suffit pas quand une détestation hors du commun vous fait perdre vos moyens. Joe n’a pas seulement à subir la haine comme une compagne intérieure qui le ronge, il faut encore qu’elle lui sabote les doigts et jusqu’à ses revolvers dont ce sont les balles plus que la cible qui s’éparpillent aux quatre vents. Joe Dalton aussi tire plus vite que son ombre, du moins plus souvent que son adversaire, mais ce déluge de balles n’a d’autre effet que de le laisser chaque fois plus découragé. Un vicieux qui n’arrive pas à satisfaire son vice qu’il assume, un pervers qui ne parvient pas à atteindre sa perversion qu’il revendique : le plus petit des Dalton n’a pas tant un problème avec la morale qu’avec l’efficacité. DestinLucky Luke a l’occasion de définir les quatre frères dans Les Dalton se rachètent quand, pour tester un projet de loi, on propose de remettre des bandits en liberté pour une période de probation afin de déterminer s’ils sont réinsérables : «Ils sont bêtes et méchants, irrécupérables pour la société et sans l’ombre d’un sentiment humain…» Mais le cow-boy parle ainsi parce que, malgré sa solitude autoproclamée, il est lui-même merveilleusement intégré, ainsi que le prouve sa convocation à la Cour suprême pour donner son opinion sur les quatre salopards idiots. Joe Dalton n’a pas cette ambition. La sienne est autrement élevée puisqu’il s’agit de mettre à bas les fondements de cette société qu’il hait d’autant plus qu’elle honore Lucky Luke (d’où sa volonté perpétuelle non seulement de tuer mais aussi de rabaisser celui-ci). L’album place les Dalton dans une situation particulière : ils doivent faire semblant d’être honnêtes durant un mois, or l’honnêteté leur est si peu familière qu’ils ne savent même pas comment on fait semblant. Quand ils s’installent comme banquiers, ils ont une consommation excessive de coffre-fort, «marchandise qui ne s’use pas vite, habituellement» se réjouit celui qui leur en vend à la pelle, Averell ignorant qu’on peut les ouvrir autrement qu’avec des explosifs. Et lorsque Lucky Luke, pour leur faciliter la vie, les fait passer chez le shérif afin qu’ils en deviennent adjoints, Joe n’a qu’une phrase à dire quand il est contraint d’épingler cet insigne sur son éternel costume rayé jaune et noir de bagnard : «Ces étoiles déshonorent l’uniforme que nous portons !» Aussi bien, c’est une profession de foi. On ne peut pas en faire un pervers juste parce que, comme Gustave Flaubert, ce rebelle estime que «les honneurs déshonorent, le titre dégrade, la fonction abrutit». D’autant que, question abrutis, il en connaît dans sa chair et son intellect un rayon plus large que ses éternels contempteurs. Pour sa défense, Joe Dalton pourrait aussi arguer que Morris et Goscinny ont poussé le vice un peu loin. Qu’il soit le dernier ou le premier des cons, pourquoi pas si tel est son destin. Mais, normalement, entre crétins, on se comprend. Et voilà qu’on lui flanque Rantanplan dans les pattes. Le chien idiot se met en tête que ce petit bonhomme en costume à rayures l’adore et entreprend de lui sauter dans les bras, tâche naturellement au-delà des capacités d’un tel animal. Joe, qui a la haine et l’exaspération si faciles et si farouches, n’aurait rien contre martyriser un chien capable de confondre Lucky Luke avec Jerry Spring et un susucre avec une pierre. Ç’aurait été si facile que le petit bagnard disgracié ait un véritable ami sur cette planète inhospitalière. Mais non : le meilleur ami du bagnard, le malheureux bagnard est ainsi fait qu’à lui aussi il voue une haine impuissante. © Mathieu Lindon |
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